J’ai découvert l’existence du manufacturier américain de systèmes de filtration Donaldson (DCI) il y a déjà un bon bout de temps. Pour être plus précis, c’était au mois d’août 1997 en lisant The Investment Reporter, une lettre financière à laquelle je m’étais abonné quelques mois auparavant. Je m’en souviens avec autant de précision parce que j’ai retrouvé le document en question en effectuant ma recherche pour cette analyse. L’article qui avait attiré mon attention s’intitulait Three U.S. All-Stars Worth Buying.
Par ordre alphabétique, Donaldson figurait en tête du peloton. Les deux autres «All-Stars» étaient Molex (MOLX), un fabricant de composants électroniques, et Worldcom. Eh oui, Worlcom, le géant des télécoms américain qui a été mené à la faillite en 2002 après qu’on eut découvert que son charismatique pdg, le Canadien Bernard Ebbers, avait gonflé de 11 milliards $ les revenus de l’entreprise pour 2001 et 2002. M. Ebbers purge présentement une peine de 25 ans de prison.
Des trois suggestions de The Investment Reporter, inutile de dire que Worldcom est celle qui a tourné le plus mal. Pourtant, pendant plusieurs années, c’est celle qui a le mieux paru. Elle brillait vraiment au firmament cette étoile filante! Il faut se souvenir qu’à la fin des années 1990, les actions des télécoms étaient poussées à des sommets inespérés en raison de l’engouement pour internet et la téléphonie mobile. Au Canada, les actions de BCE, de Telus et de Teleglobe (pour ne nommer que celles-là) ont aussi connu leurs heures de gloire. Mais on connaît la suite : la bulle a éclaté et la correction du secteur a été pour ainsi dire aussi brutale que vertigineuse.
Va pour Worldcom. Mais qu’est-il arrivé de Molex? À ma grande surprise, je constate que cette compagnie a fait vivre à ses actionnaires un voyage aller-retour. De son prix d’environ 25$ à l’automne de 1997, MOLX a monté jusqu’à près de 60% en 2000 pour décliner par la suite. L’action aujourd’hui s’échange autour de 14$, à un ratio c/b de 11 (comparativement à plus de 30 dans les «folles années»). Chose surprenante, son dividende qui était tout à fait négligeable (moins de 1%) en 1997 est aujourd’hui alléchant à 4.4%. Sans pousser l’investigation plus loin, peut-être que le temps est venu de la considérer plus sérieusement, d’autant plus que son bilan me paraît des plus solides. Qui sait si Molex n'est pas en train de se positionner pour scintiller à nouveau de tous ses feux…
Difficile de faire les bons choix
Je vous parle de ces deux compagnies pour vous montrer à quel point il peut être difficile de faire de bons choix en investissement. Juste pour cet exemple, deux compagnies sur trois ont fait perdre d’importantes sommes d’argent à leurs actionnaires dans les dix dernières années. Et en consultant pendant quelques minutes mes vieilles copies de The Investment Reporter, j’ai sorti d’autres squelettes du placard : les Loewen Group, MDS, Royal Group Technologies, Geac Computer, Nortel Networks, pour n’en nommer que quelques-uns.
Des compagnies prometteuses, des noms qui ont fait saliver, finalement, des histoires qui ont mal tourné ou simplement de gros désappointements. Tout cela nous rappelle l’importance de s’en tenir, autant que possible, aux quatre critères que j’ai déjà énumérés dans l’article intitulé Patience et longueur de temps.
Et encore faut-il s’assurer de payer le juste prix! C’est l’élément fondamental à ne jamais perdre de vue. Martelez-vous cette vérité dans la tête : malgré toutes les précautions, rien ne sera jamais garanti. Une compagnie est comme un être humain. Son futur peut paraître brillant, mais elle peut quand même échouer, connaître des hauts et des bas, devenir «malade», avoir besoin de sang neuf…
L’investisseur autonome n’a guère le choix s’il veut préserver son capital : il doit maintenir le contact, surveiller son affaire. C’est un devoir dont il ne peut s’affranchir sans en payer le prix éventuellement. Il suffit d’un retour sur le passé pour s’en convaincre.
La métamorphose
Cette réflexion nous ramène à Donaldson, une société établie à Minneapolis, au Minnesota, qui n’a peut-être rien de bien séduisant à prime abord mais qui a su, au fil des ans, récompenser généreusement ses actionnaires.
Donaldson a été fondée en 1915 par Frank Donaldson Sr., qui avait eu l’idée de mettre au point et de vendre aux fermiers un filtre à air pour tracteur, afin d’empêcher que les étincelles s’échappant du moteur ne provoquent des incendies et détruisent leurs récoltes.
Au fil des ans, Donaldson s’est diversifiée en produisant des filtres à air pour la machinerie lourde et les camions. Et au milieu des années 1980, sous la gouverne du pdg Bill Hodder, la compagnie se donna l’objectif d’élargir encore sa gamme de produits, de manière à être moins sensible aux cycles économiques.
C’est ainsi que Donaldson fabrique et distribue aujourd’hui un large éventail de systèmes de filtration et pièces de rechange, autant pour des applications industrielles que pour le matériel roulant, camions, tracteurs et automobiles. Ses produits vont des filtres pour moteurs aux échappements et systèmes de contrôle des émissions, systèmes de purification d’air pour usine, prises d’air pour turbines à gaz industrielles, filtres spécialisés pour disques d’ordinateurs, usines de fabrication de microprocesseurs, avions, et j’en passe...
D’abord presque exclusivement nord-américaine, sa clientèle est devenue avec le temps plus diversifiée géographiquement. Aujourd’hui, on peut dire que Donaldson est vraiment devenue multinationale, avec 13,000 employés et une centaine de bureaux et usines sur tous les continents. En 2008, 57% de ses ventes ont été réalisées à l’étranger, le reste en Amérique du Nord.
Comme le rappelait le successeur de Bill Hodder, William Van Dyke, dans le rapport annuel de 2004, c’est le résultat d’une véritable «métamorphose», tout un contraste avec les débuts de l’entreprise, qui était encore perçue à la fin des années 1980 comme étant très cyclique, à cause de sa forte exposition à l’industrie du moteur diesel et de sa clientèle principalement nord-américaine.
Un «stock» extraordinaire
Une vingtaine d’années plus tard, il suffit de jeter un coup d’œil à un graphique du cours de l’action de Donaldson pour constater que la métamorphose a largement profité à ses actionnaires.
Cent dollars investis en 1989 se sont transformés en 3,816$, comparativement à 1,126$ pour l’indice S&P 500. C’est un rendement annuel moyen de 20%, extraordinaire en soi mais qui n’a rien de surprenant quand on songe que la compagnie a enregistré, en 2008, sa 19e année consécutive de croissance record du bénéfice net.
Pendant ces années, les ventes ont augmenté à un taux moyen de 10% (de 423 millions à 2,233 milliards$), soit dans la fourchette de l’objectif à long terme de 10 à 12%. Mais le bénéfice net par action a fait beaucoup mieux, croissant à un taux annuel composé de 16% (de 19 cents à 2.12$), en raison à mon avis du rachat constant d’actions (2%) effectué à chaque année par la direction et qui a réduit le nombre total d’actions de 115.5 millions à 77.5 millions (en tenant compte de fractionnements survenus en janvier 1998 et mars 2004).
Autre accomplissement digne de mention : depuis plus de dix ans, le retour sur l’avoir des actionnaires n’a jamais été sous les 20%.
Dividendes
Évidemment, je m’en voudrais de parler de Donaldson et de ne pas dire un mot sur son dividende.
Bien que la compagnie n’ait jamais été considérée comme un «gros payeur» («big yielder»), elle verse un dividende trimestriel depuis 53 ans consécutifs, soit presque depuis son introduction en bourse en 1955.
Le montant distribué a été haussé à un taux annuel composé de 15% (voir le graphique ci-haut), passant de 3 cents en 1990 à 42 cents en 2008. Ce que les anglophones appellent le «payout ratio» (le pourcentage des profits utilisés pour payer le dividende) n’a rien d’excessif à 20%, ce qui donne toute la latitude à la direction pour le maintenir et même l’augmenter au fur et à mesure que l’entreprise approchera de la phase de maturité.
Style de gestion prudent
Traditionnellement promue des échelons inférieurs, la haute direction se démarque par une longue tradition -- je dirais presque une culture -- de gestion conservatrice et prudente du capital.
Donaldson ne se prive pas pour autant d’utiliser l’effet de levier, mais sans excès, le ratio d’endettement à long terme sur l’avoir des actionnaires se situant constamment bien en-dessous de 30%.
Dans leurs objectifs stratégiques, les dirigeants visent un rendement du capital investi de 15%. Cela peut paraître ambitieux, mais la cible est généralement atteinte, soit en réduisant les coûts, soit en délaissant les activités moins rentables pour cibler celles dont l’avenir semble plus «porteur».
Croissance interne et acquisitions
À moyen et long terme, Donaldson vise des revenus de 3 milliards $ en 2011 et de 5 milliards $ en 2016. La direction compte y arriver en développant de nouveaux produits (près de 2% des revenus sont investis en R&D annuellement), en élargissant son rayonnement géographique de même qu'en effectuant quelques acquisitions.
Pas question, cependant, de lancer une large opération de consolidation du secteur. L’intention est plutôt d’aller chercher une expertise ou un élément complémentaire à l’éventail de produits et services de la compagnie. Conséquemment, la croissance par acquisition se situera entre 1 à 3% des ventes. Idéalement, il faudra deux ans, tout au plus, pour que les nouvelles opérations deviennent relutives («accretive»).
Réalisée à l’automne 2008 selon des conditions non dévoilées, la dernière «prise» de la compagnie illustre très bien sa stratégie en la matière. Western Filter, de Valencia en Californie, est un manufacturier de filtres pour liquide servant les marchés de l’aéronautique et de la défense. À 28 millions $, ses ventes pour 2008 sont tout en fait en ligne avec les cibles données.
Perspectives
Après avoir franchi pour la première fois le cap des 2 milliards $ de ventes en 2008, Donaldson a amorcé l’exercice fiscal 2009 sur une excellente note, compte tenu de l’état général de l’économie.
Le bénéfice net par action pour l'exercice terminé le 31 octobre 2008 a atteint 60 cents, soit 13% de plus que l’an passé. Le bénéfice net a crû de 11%, à 48 millions $, et les ventes de 9%, à 573.3 millions $.
La direction est confiante de réaliser un autre exercice record cette année (cible de 2.16$ à 2.36$), même si elle anticipe un plafonnement de ses ventes à 2.23 millions $ en raison de la hausse extrêmement rapide du dollar américain. Elle compte réussir son exploit à la manière Donaldson, «the old fashion way». Le pdg Bill Cook l’expliquait ainsi dans son communiqué de presse du 24 novembre dernier :
«S’il est vrai que nous avons eu un bon début d’année fiscale, nous sommes aussi conscients d’être confrontés à un environnement économique mondial difficile. En conséquence, nous avons activement géré notre entreprise et travaillé agressivement à réduire nos dépenses. Nous progressons bien en ce sens puisque nous avons réduit nos dépenses d’opération à 20.4% des ventes pour ce trimestre, comparé à 22% au 4e trimestre de 2008. Nous pensons qu’en combinant notre attention constante sur le contrôle des coûts, à toutes les étapes de production, à la force de notre portefeuille diversifié de solutions de filtration, nous réussirons à réaliser notre 20e année record consécutive de bénéfices nets par action.»
Un achat ou pas?
Enfin, quelques mots au sujet de la compétition et du prix actuel de l’action.
Les principaux compétiteurs sont Pall (PLL), ESCO Technologies (ESE), Millipore (MIL) et Clarcor (CLC), auxquels il faut ajouter les divisions de filtration des conglomérats Siemens (SI), General Electric (GE) et 3M (MMM).
Depuis le temps que je surveille les activités de Donaldson, j’ai souvent entendu de parler de fusion avec l’une ou l’autre de ces compagnies. Pour en avoir discuté avec un ancien v.-p. de la compagnie, je peux dire que la possibilité existe bel et bien, et depuis des années, mais rien n’indique qu’elle se réalisera et quand. C’est simplement dans les cartes.
À son prix actuel d’autour de 32$, Donaldson a une capitalisation boursière de 2.47 milliards $, un peu plus que ses revenus pour 2008. Son dividende de 46 cents lui confère un rendement modeste (mais croissant, on l’a vu) de 1.4%. Le ratio cours/bénéfice, à 14.6, est historiquement bas pour cette compagnie, mais il en va de même pour l’ensemble du marché présentement.
Alors, est-ce un achat ou pas? Comme vous le savez, ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Laissez-moi, simplement, pour conclure vous raconter l’histoire d’une de mes connaissances. Ça vous donnera un peu de perspective, au moment où nous en avons tous bien besoin.
L'histoire de Bill
Bill (c’est un nom fictif) est un fermier de l'est des États-Unis de plus de 70 ans, qui possède des actions de Donaldson depuis que sa femme les a reçues en héritage à la mort de son père, lui-même agriculteur. «Les actions de Donaldson sont dans la famille depuis plus de 40 ans», m’a-t-il raconté il y a plusieurs années, en précisant que son coût moyen par action est de moins de cinq cents!
Comment est-il arrivé à conserver ses actions sans sourciller pendant toutes ces années? Pensez-y, il y a eu le terrible «bear market» des années 1970, le crash de 1987, l’éclatement de la bulle technologique, le 11 septembre…
C’est simple, Bill est un investisseur avisé et patient. Il fait ses devoirs et ensuite dort sur ses deux oreilles. Tant que la direction de Donaldson maintient le cap, il ne se laisse pas impressionner par les hauts et les bas boursiers, par le bruit et la fureur de Wall Street.
Ne vous inquiétez pas pour lui : son portefeuille est diversifié, mais cela ne l’empêche pas de continuer à acheter des actions de Donaldson. En effet, ses actions sont toujours inscrites au Plan de réinvestissement de dividende (connu sous l’acronyme de DRIP en anglais) de la compagnie, en vertu duquel il achète sans frais de nouvelles actions à tous les trois mois.
Faut vraiment le faire : toujours acheteur à plus de 70 ans!
Incroyable, n’est-ce pas?
Site très intéressant. Les recherches sont fouillées et les histoires souvent belles.
RépondreSupprimerFélicitations !
Marc, une petite remarque : pourquoi ne pas élargir la bande où apparait tout le texte ? Cela permettrait d'afficher davantage de texte sans scroller en permanence ==> fluidifier la navigation du lecteur.
Bonne continuation,
Franck
Merci beaucoup pour ce commentaire très encourageant Franck. C'est apprécié au plus haut point, soyez-en assuré.
RépondreSupprimerJe retiens également votre suggestion. Ce blogue n'a que trois semaines d'existence aujourd'hui, mais il est bien évident qu'avec le temps il me faudra effectuer certains changements.
Je me suis rendu compte toutefois qu'il valait mieux avancer prudemment, sans rien brusquer. Et surtout, j'aurai sans doute besoin d'aide pour aller plus loin, si c'est ce que je choisis de faire.
Entretemps, le meilleur service que vous pouvez me rendre -- vous et tous les autres lecteurs qui appréciez ce blogue --, c'est de me visiter régulièrement et de faire connaître l'adresse URL à d'autres personnes.
Merci encore.
M.F.
J'aime tes analyses. Bravo!
RépondreSupprimerQue puis-je dire, sinon que moi aussi j'ai du plaisir à écrire mes analyses et de savoir que vous les appréciez.
RépondreSupprimerSi vous voulez vraiment m'encourager, faites connaître mon blogue à d'autres personnes et continuer de me visiter.
Vous pouvez aussi me faire des suggestions. J'essaierai de faire suivra dans la mesure du possible.
Encore merci!
M.F.
Merci Marc pour cette présentation.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas Donaldson, ce nom n'évoquait pour moi qu'une ligne de vêtement dont ma femme raffolait voici plus de dix ans... Grâce à vous, je penserai plutôt filtres que personnages de Disney !
Je vais suivre cette superbe valeur...
Ce qui me semble intéressant, c'est que les filtres doivent être remplacés régulièrement. Les ventes du groupe sont donc récurrentes.
Je recherche toujours cette qualité pour mes valeurs car cela assure une base line aux ventes que les fabricants de biens durables n'ont pas.
Je suis content que Donaldson ait attiré ton attention Thierry. Tu remarqueras que la compagnie est très présente en Europe et qu'il existe une version française de ton site web.
RépondreSupprimerComme je l'ai écrit dans un récent article, malgré sa diversification, la société n'a pas été épargnée par la crise économique. Je m'attends à ce qu'elle demeure profitable cette année, mais elle subit elle aussi les effets du ralentissement.
Je suis d'avis que la direction a pris les décisions qui s'imposaient dans les circonstances. Le titre devrait bien faire lors du rebond, lorsque celui-ci se produira.
M.F.