vendredi 16 janvier 2009

Groupe BMTC: «Brick and Mortar» vous avez dit?


J'ai entendu parler pour la première fois de Groupe BMTC (GBT.A-TSX) à peu près à ce temps-ci de l'année, il y a neuf ans.

Depuis le milieu de l'année 1994, le marché boursier était dans un élan d'optimisme irrésistible. Déjà, en décembre 1996, le président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, avait tenté de refroidir l'ardeur des investisseurs, en qualifiant d'«exhubérance irrationnelle» la montée stupéfiante des indices, mais en quelques jours à peine l'avertissement avait été relégué aux oubliettes et le mouvement haussier avait repris son cours. À l'époque, rien ne semblait pouvoir stopper l'un des plus longs «bull markets» de l'histoire américaine.

Revenons à 1999. L'excitation était encore à son comble, mais cette fois toute l'attention était désormais tournée vers les valeurs technologiques, dont les grands noms comme
Intel, Oracle, Nokia et autres étaient poussées à des ratios cours/bénéfice astronomiques. L'excès était tel qu'il suffisait, aurait-on dit, d'ajouter le suffixe «.com» au nom d'une compagnie pour voir son titre décoller comme une fusée dès son introduction en bourse. C'était la «Dot-com Bubble».

Dans ce contexte, de nombreuses compagnies jugées moins prometteuses -- les
«brick and mortar» étaient-elles qualifiées ironiquement -- se transigeaient à des cours beaucoup plus raisonnables. Groupe BMTC -- dont le nom n'était certes pas «sexy -- était de ces compagnies obscures, totalement négligées par les cyber-boursicoteurs de la fin des années 1900.

En bourse depuis 1989


Dans sa forme actuelle, Groupe BMTC a été constituée et introduite à la bourse à l'automne 1989, sous la gouverne de son président et chef de la direction actuel,
M. Yves Des Groseillers, qui en est l’actionnaire principal et contrôle 49,91% du vote. Sa rémunération totale atteignait 625 000$ en 2007. La compagnie compte deux classes d’actions : celles de catégorie A dites «subalternes» sont transigées à la bourse de Toronto et portent un (1) droit de vote; celles de catégorie B ne sont pas inscrites en bourse et comptent 20 droits de vote par unité.

Groupe BMTC se décrit comme
le plus important détaillant de meubles, d’appareils électroniques et d’électroménagers au Québec. Il employait 2,705 personnes au 31 décembre 2007. Son réseau de distribution -- qui couvre les pôles démographiques les plus importants de la province -- s’affiche sous les bannières Brault & Martineau et Ameublement Tanguay et se compose de 20 grandes surfaces, sept centres de liquidation, six Galerie du sommeil Brault & Martineau et deux centres de distribution. La presque totalité de ces immeubles appartiennent à l’entreprise.

En règle générale, la livraison est assurée exclusivement par les centres de distribution, les magasins jouant le rôle de salles de montre où la clientèle peut voir et toucher la marchandise. Comme c’est habituellement le cas dans ce type de commerce, une part importante des ventes se réalise en fournissant à l’acheteur un financement -- le fameux
«Achetez maintenant, payez dans trois ans sans intérêt!» -- fourni par un tiers, de sorte que la compagnie n’assume elle-même aucun risque de crédit.

Concurrence

Les principaux concurrents de Groupe BMTC sont
Sears Canada, La Baie, Meubles Léon et le groupe Brick, auxquels on peut ajouter d’autres détaillants spécialisés comme Ikea, Best Buy, Future Shop et Corbeil. À mon avis, Groupe BMTC se démarque de la concurrence par l’omniprésence et l’ampleur de sa publicité. J’ai lu, il y a quelques années, que la compagnie figurait parmi les premiers annonceurs du Québec. Bien que je n’aie pas vérifié cette information, je n’ai aucun mal à croire qu’elle soit exacte: que ce soit dans la région de Montréal ou de Québec ou ailleurs en province, les publicités dans les journaux, à la télé et à la radio ont fait de Brault & Martineau et Ameublement Tanguay des incontournables auprès des consommateurs. À Québec, qui n’a pas entendu parler de la «vente du million» par exemple?

L’entreprise soigne également son image de marque en s’associant à des campagnes de financement comme celles de la
Fondation Maurice-Tanguay, de la Fondation Maman Dion et de la Fondation du CHUM pour n’en nommer que quelques-unes. De plus, à Québec et dans l’est de la province, la famille Tanguay est en train de bâtir une légende autour de son nom pour le succès de son engagement dans le sport d’élite, que ce soit avec les équipes de hockey junior de Rimouski et de Québec ou avec l’équipe de football Rouge et Or de l’Université Laval.

La réussite de Groupe BMTC, bâtie autour de la force de son marketing et de son service après-vente,
est telle qu’en 2007 la société estimait détenir environ 30% du marché québécois de la vente de meubles et d’appareils électroménagers. C’est un pourcentage incroyable dans un secteur où la compétition est féroce, et qui témoigne, je crois, du travail efficace de l’équipe de gestion.

Dividendes, dividendes


Groupe BMTC verse des dividendes sur une base semestrielle à ses actionnaires de catégorie A et catégorie B. En fouillant dans les archives de Sedar, j’ai pu reconstituer le
tableau joint à cet article. Les chiffres parlent par eux-mêmes : du 1er semestre de 1998 au dernier de 2008, le dividende est passé de 0.0125$ à 0.18$ (tous les chiffres tiennent compte des trois fractionnements d’actions survenus le 6 décembre 2000, le 3 juin 2002 et le 11 décembre 2003). C’est une progression remarquable de 1 440% en dix ans!

Si vous aviez acheté l’action en 2008, au cours moyen de 2.67$ cette année-là, vous auriez sans doute trouvé que le dividende était insignifiant, puisqu’il rapportait alors moins de 1% (0.93%). Mais le bénéfice net étant de 26 cents, la direction avait toute la latitude pour l’augmenter et c’est ce qu’elle s’empressa de faire par la suite. Tant et si bien qu’en dix ans, 1.70$ ont été remis aux actionnaires. C’est presque 65% de votre mise initiale, si vous l’aviez faite. De plus, à 35 cents l’action en 2008, le dividende vous donnerait maintenant un rendement de 13,1% sur votre capital investi.


Gain de capital


Vous vous doutez bien que si le dividende a monté de la sorte en dix ans, l’action aura certes performé dans le même laps de temps. GBT.a vaut aujourd’hui 18.70$, soit une hausse de
presque 700% sur le cours moyen de 1998. La capitalisation boursière atteint maintenant 590 millions $. C’est un résultat exceptionnel dont très peu de compagnies inscrites au TSX peuvent se vanter. Et tout ça s’est produit sous le faisceau radar de biens des investisseurs, qui n’en ont que faire des BMTC de ce monde et préfèrent s’intéresser aux Nortel et autres «high-flyers». Avec les résultats que l’on connaît…

Ce qui est surprenant, quand on scrute à la loupe les résultats de l’entreprise, c’est de constater que la croissance du bénéfice net a largement dépassé celle des ventes. En 1998, les produits d’exploitation totalisaient 518.8 millions $ contre 863 millions $ pour les quatre derniers trimestres, soit une augmentation de 66.6%. Le bénéfice net pendant ce temps a explosé, passant de 15.8 millions $ à 64.1 millions $ (+305%). Je soupçonne que les marges ont largement profité du fait que la compagnie est devenue graduellement propriétaire de tous ses magasins. De plus, en misant sur les grandes surfaces et des entrepôts ultra-modernes, le roulement de la marchandise s’est accru au point où ses coûts d’inventaire n’ont cessé de diminuer. Une stratégie gagnante, visiblement.


Mais ce n'est pas tout: le bénéfice net par action a fait encore mieux avec une
augmentation de 673% (de 0.26$ à 2.01$ l’action). Cette impressionnante progression est due pour une bonne part aux rachats d’actions systématiques, effectués à tous les ans, qui ont permis de ramener le nombre d’actions de 58.2 millions en 1998 à 26.8 millions en septembre dernier. À titre d’exemple, juste pour les trois premiers trimestres de 2008, la compagnie a investi 83 millions $ dans ses rachats d’actions! Visiblement, M. Des Groseillers juge qu’à son cours moyen actuel (autour des 10 fois le bénéfice net des quatre derniers trimestres) l’action est une bonne affaire et il en profite. Heureusement, les opérations de l'entreprise sont robustes et ne nécessitent pas d'investissements lourds, sans quoi cette liberté de manoeuvre serait impossible.

Gestion prudente


Dernier point à considérer : tous ces résultats ont été obtenus par une gestion prudente et conservatrice du capital. D’année en année, Groupe BMTC figure parmi les premières sociétés publiques au Canada, au plan du retour sur l’avoir des actionnaires. Pour les trois dernières années seulement, le ROE (Return On Equity) était de plus de 30%.


À l’exception de ses obligations pour la retraite de ses employés et le programme d’options à l’intention de ses dirigeants (dont le coût est comptabilisé sur une base continue, ce qui fait de BMTC une exception parmi les entreprises inscrites au TSX), la compagnie n’a
aucune dette. Et malgré les importants rachats effectués en 1998, elle avait encore tout près de 40 millions en encaisse et placements au 30 septembre!

Le futur


Bon. Je pense bien avoir fait la démonstration que les dix dernières années ont été extrêmement satisfaisantes pour les actionnaires de Groupe BMTC. Mais la bourse étant toujours tournée vers l’avenir, la grande question est maintenant de savoir ce que nous réserve le futur.


Dans un contexte de fort ralentissement économique, je suis d’avis que
Groupe BMTC est en position de force pour accroître ses parts de marché au détriment des plus faibles opérateurs et poursuivre de nouvelles initiatives porteuses de croissance, comme celles de la Galerie du sommeil. Dans son dernier rapport trimestriel, la direction elle-même se dit «convaincue que, grâce à sa gestion efficace, au leadership qu’elle exerce sur le marché et à la solidité de sa structure financière, la Compagnie pourra continuer ses campagnes publicitaires agressives même dans un marché plus difficile et ainsi réaliser des résultats financiers supérieurs à ceux d’autres entreprises oeuvrant dans son secteur d’activité».

Je suis tout à fait d’accord. De toute évidence, une bonne partie du succès actuel dépend des bonnes décisions prises par l’actuel pdg, M. Des Groseillers. Il y a bien sûr beaucoup de «si» en affaires, et chaque investisseur doit prendre sa propre décision selon sa vision des choses. En ce qui me concerne, tant que M. Des Groseillers restera en place -- et par la suite, pour autant que la compagnie s’en tienne à sa manière de gérer prudemment son capital --, les actionnaires devraient bien se tirer d’affaire.


Bon week-end!

6 commentaires:

  1. Veuillez m'excuser les problèmes de présentation de cet article. J'éprouve présentement des difficultés à corriger la situation à partir de l'éditeur du Blogger.

    J'espère pouvoir arranger tout ça au cours du week-end.

    Merci de votre patience.

    M.F.

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  2. Après bien des tentatives, j'ai fini par trouver en quoi consistait le problème. C'est corrigé et ça ne devrait plus se reproduire. Enfin, j'espère.

    Bonne lecture!

    M.F.

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  3. Marc,

    bonjour. Bravo pour votre blog. J'aime beaucoup la manière dont vous avez analysé le groupe BMTC.

    Je retiens principalement, la grande qualité de la direction, dans un business, sans réel avantage sur la concurence....!!!!

    Bonne continuation et au plaisir de vous lire.

    Pierre Marchand

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  4. C'est une excellente analyse de la compagnie. Je pense aussi que grâce à sa position dominante et sa bonne santé financière (pas de dette!), BMTC profitera du ralentissement pour augmenter ses parts de marché.

    Le seul point sur lequel je me pose une question est le suivant: une grande part des ventes est réalisée grâce au crédit à la consommation (versements, paiements différés, etc.). On dit qu'aux États-Unis on devrait observer au cours des prochaines années une forte contraction du crédit à la consommation. Est-ce qu'un tel phénomène est suceptible de se produire ici et risque de mettre en danger une partie des ventes de l'entreprise?

    Quelconque idée là-dessus?

    Nicolas Bellemare

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  5. Je suis heureux de constater que mon analyse de Groupe BMTC suscite quelques commentaires.

    Je vous remercie évidemment tous les deux, Pierre et Nicolas, pour vos bons mots. Je ne fais que commencer et vos encouragements, à ce stade-ci, sont importants pour moi et m'incitent à continuer.

    Pour ce qui concerne ta question Nicolas, je pense que tu touches un bon point. La direction l'a d'ailleurs abordé, parmi les facteurs de risque dont elle est tributaire dans son dernier rapport de gestion, accessible sur Sedar.com.

    Voici le paragraphe où elle discute de l'importance du crédit sur ses affaires:

    (...)

    «La majorité des ventes est réalisée en utilisant le financement offert par les fournisseurs de crédit. Une hausse marquée des taux d’intérêt ou un resserrement des conditions accordées pourraient avoir un impact important sur les ventes de l’entreprise et les charges d’intérêt en découlant. Rien ne garantit que la Compagnie pourra continuer de procurer des solutions de financement aussi
    avantageuses à ses clients qui nous permettraient de maintenir les taux de rendement actuels.»

    Il n'y a pas de cachette: en cas de forte récession, les achats importants ont tendance à être reportés. Le secteur dans lequel opère BMTC serait sans doute sous pression, mais la direction -- je le rappelle -- se dit confiante de faire mieux que la concurrence dans un tel contexte.

    Étant donné la solidité de son bilan, BMTC aura le moyen de continuer ses campagnes publicitaires même en cas de récession, ce que beaucoup de concurrents ne pourront pas faire. Je pense que la compagnie en profitera pour accroître encore ses parts de marché et qu'elle en ressortira encore plus dominante.

    Le seul autre concurrent qui pourrait également tirer profit de la récession, selon moi, est Meubles Léon, une entreprise également très bien dirigée mais qui, je crois, ne menace pas réellement la position de force de BMTC. L'image de marque n'est tout simplement pas la même. Au plan de la compréhension du marché québécois, Léon a des croûtes à manger.

    J'ai l'impression que beaucoup de petits joueurs de moindre importance pourraient disparaître. Je suis persuadé que de nombreux commerçants ont "surfé" sur la vague immobilière des dernières années sans se préparer pour un ralentissement.

    BMTC et Léon, eux, sont prêts. C'est en tout cas ainsi que je vois les choses.

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  6. Belle analyse de BMTC! De plus qu'il existe peu d'information publique sur ce titre.

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